
« Il aurait été impossible de créer une boite en pensant autrement, ma motivation est de faire des projets engagés avant tout », Maëlle Chassard
Pour retrouver les trois premiers portraits de cette série spéciale « acteurs engagés - design et environnement », rendez-vous ici :
- l'interview de Sylvain Hermange - pilote du dispositif Mission chez MAIF,
- l'échange avec Johanna Rowe Calvi - fondatrice de terr-estre et de Women in Design,
- le portait de Mellie La Roque – service designer chez SNCFConnect & Tech et co-initiatrice des Designers Ethiques.
Bonne lecture !
Bonjour Maëlle, je te laisse te présenter en quelques mots.
Bonjour, moi c’est Maëlle. Je suis designeuse de formation, j’ai fait mes études à Strate où je me suis spécialisée en design d’interactions et concepts innovants avec déjà l’intuition et l’envie de m’échapper des écrans dès que possible pour aller vers des interfaces tangibles.A la fin de mes études, mon mémoire a porté sur les imaginaires collectifs et individuels car je suis passionnée de contes et de légendes. L’arrivée des écrans a créé une génération d’« ipad kids »dès le début des années 2010. J'ai alors eu l'intuition qu'un mauvais usage des écrans pourrait impacter la créativité et la capacité d'imagination. J’ai mené un atelier avec des enfants pendant lequel je leur ai demandé de dessiner un ogre.Ils ont tous dessiné Hulk ou Shrek… Il semblait impossible de pouvoir imaginer autre chose.

La capacité d’imagination ce n’est pas juste pour les artistes. Tout le monde fait appel à ça pour résoudre des problèmes, quel que soit le problème. Donc perdre cette capacité nous met en difficulté.
J’ai alors imaginé un petit boitier, une fabrique à histoires, comme alternative aux écrans pour les parents. J’ai une démarche de design intuitive, c’est une partie de moi enfant ou ado qui s’exprime très fort.
Peux-tu nous raconter la genèse de Lunii ?
Ce projet de diplôme a donné lieu à la création d’un prototype non fonctionnel et d’une vidéo. J’ai reçu le coup de cœur et les félicitations du jury, et j’ai été fortement encouragée par le directeur de l’école à postuler pour obtenir une subvention de la Région Ile de France. Celle-ci finançait des prototypes pour ensuite les présenter à Futur en Seine.J’ai obtenu cette subvention et en parallèle j’en ai discuté avec 3 amis avec lesquels nous avions l’envie commune d’entreprendre. Nous avions des profils complémentaires : Igor avait un profil business et marketing, Eric était plus sur la partie tech et Thomas avait un profil pluridisciplinaire avec un esprit pratique important. On a démarré comme un cliché de l’entrepreneur avec un projet monté dans l’appartement de mon associé transformé en fablab.
Nous avons présenté notre prototype à l’événement Futur en Seine. Nous sommes même devenus la garderie de l’événement. Les enfants écoutaient 4, 5 voire 6 histoires d’affilé. Cela a prouvé l’intérêt du produit et nous avons créé l’entreprise pour industrialiser la Lunii.
Nous avons présenté notre prototype à l’événement Futur en Seine. Nous sommes même devenus la garderie de l’événement. Les enfants écoutaient 4, 5 voire 6 histoires d’affilé. Cela a prouvé l’intérêt du produit et nous avons créé l’entreprise pour industrialiser la Lunii.
Avez-vous fait des choix responsables dès le début ou la dimension éthique de Lunii est-elle arrivée par la suite ?
Tout de suite. Cela faisait partie de ma formation de donner du sens et d’être le plus responsable possible dans la démarche de conception et de développement. Lunii est une entité engagée depuis sa création, même s’il n’a pas été possible de tout bien faire dès le début car nous n’avions pas les moyens et les contacts nécessaires. Cela faisait partie de ce qui motivait nos actions.
Il aurait été impossible de créer une boite en pensant autrement. Ma motivation est de faire des projets engagés avant tout. C’est ce qui me fait vibrer et le business vient porter cette ambition de faire des projets à impact.
D’un point de vue design, je voulais un objet intuitif et simple. Donc il y a déjà, à la base, une forme d’économie dans les fonctionnalités de l’objet. Il n’y a pas 1000 boutons. La question initiale était : qu’est-ce qu’il faut pour sa bonne utilisation ? Cela donne un objet simple à utiliser.
Ensuite, on voulait fabriquer en France mais monter un projet industriel ici représente des coûts financiers énormes. Nous étions 4 jeunes sortis d’études et à l’époque il n’y avait pas de marché de conteuses. Nous avons donc démarré la fabrication en Chine avec une usine familiale et un bureau d’étude franco-chinois. Mais nous nous étions fait une promesse tous les 4 : « si ça fonctionne, on rapatrie en France ». C’est ce que nous avons fait fin 2018 et la 1ère production française a eu lieu à l’été 2020, juste avant la crise du covid, la crise des composants et la crise économique que l’on subit encore.
Ensuite, on voulait fabriquer en France mais monter un projet industriel ici représente des coûts financiers énormes. Nous étions 4 jeunes sortis d’études et à l’époque il n’y avait pas de marché de conteuses. Nous avons donc démarré la fabrication en Chine avec une usine familiale et un bureau d’étude franco-chinois. Mais nous nous étions fait une promesse tous les 4 : « si ça fonctionne, on rapatrie en France ». C’est ce que nous avons fait fin 2018 et la 1ère production française a eu lieu à l’été 2020, juste avant la crise du covid, la crise des composants et la crise économique que l’on subit encore.
Au-delà du produit, votre engagement apparait-il ailleurs dans vos activités et au sein de la société ?
Oui, notre mission principale est d’accompagner le développement de l’enfant. Nous avons donc créé une charte éditoriale avec les auteurs des histoires pour favoriser l’inclusivité, la diversité, etc. Nous faisons évoluer cette charte dans le temps, elle fait partie de nos piliers.Nous avons envie d’être les plus cohérents possible et donc nous avons choisi de nous recentrer sur les éléments où l’on pouvait avoir de l’impact. Je ne peux pas parler de tout ici car il y a beaucoup de choses à faire mais, par exemple, nous nous sommes engagés dans une démarche de labellisation avec le label LUCIE qui cadre nos engagements en matière de développement durable.
Nous nous orientons aussi de plus en plus vers l’économie circulaire et des modèles liés à l’économie de la fonctionnalité à travers l’accès aux contenus, la proposition de Fabriques à Histoires reconditionnées, une campagne d’échange entre ancienne et nouvelle version pour à terme réduire la production.
Par ailleurs, une avancée sociale est en test chez Lunii et mérite d’être encore éprouvée : la semaine de 4 jours. Cela nous paraissait cohérent d’un point de vue management et traitement des équipes. D’entrepreneuse je suis devenue dirigeante d’une entreprise de 80 salarié.e.s. Le bien-être des équipes fait partie de nos engagements.
En termes de vision, Lunii a la volonté d’aller encore plus loin. De mon côté, je veux continuer à travailler sur développement de l’enfant et donc m’éloigner du marché du divertissement pour être reconnue en tant qu’acteur de santé publique pour le développement cognitif des enfants.
Tu parlais d’économie circulaire, peux-tu nous en dire plus sur ce que vous avez mis en place ?
Nous faisons régulièrement des ACV (Analyses du Cycle de Vie) de nos produits. Nous avons aussi obtenu le label QualiRépar qui atteste la haute réparabilité du produit. Nos produits durent dans le temps, ils sont réparables, transmissibles ou rapportés à Lunii.Nous continuons à nous renseigner sur les évolutions en termes de développement durable, sur les tendances, etc. Quand j’ai entendu parler d’économie circulaire et d’économie de la fonctionnalité, l’ampoule s’est allumée. Si nous avions découvert les principes associés plus tôt, nous les aurions mis en place plus rapidement. C’est assez excitant de travailler surtout ça mais c’est aussi difficile. Il faut penser nos offres différemment et éduquer nos clients sur les notions de réparation, de maintenance ou encore de réemploi. Avoir un service client de qualité est donc l’un des piliers pour arriver à ce type de démarche. Le parcours utilisateur doit être simple, tous les modules doivent être en place pour que ça roule.
Travaillez-vous également à la réduction de vos impacts liés au numérique (LuniiStore, etc.) ?
Oui nous avons d’ailleurs récemment obtenu label NR (Numérique Responsable). Nous avons ajouté cette dimension cette année, mais le label LUCIE cadrait déjà un peu ces aspects. Le risque pour nous est de démultiplier les feuilles de route car on a beaucoup de dimensions à prendre en compte. Mais oui le numérique fait partie des questionnements d’autant plus que l’on travaille pour une cible très jeune.Au-delà de l’éco-conception des produits et des plateformes numériques, penses-tu que l’éco-design / éco-conception de services puisse être un levier supplémentaire pour les entreprises ?
Oui bien sûr. Tous les secteurs sont concernés car on trouve des services un peu partout, y compris chez Lunii. Il y a une vraie nécessité d’aller vers des services à moindre impacts pour aller au bout de la démarche. Cela comprend la dimension numérique, comme on vient de l’évoquer, mais aussi physique, économique, logistique, etc. Il faut avoir un regard systémique sur tout cela.Cela nécessite de vraies bascules. Réinventer son business, avoir la capacité de se remettre en question, gratter là où ça fait mal… c’est inconfortable mais c’est aussi passionnant à mettre en place donc cela apporte beaucoup d’énergie.
Un dernier mot ?
Nous avons un nouveau challenge chez Lunii. Je me suis lancée dans un projet qui s’appelle Numenia et qui va s’adresser aux adolescents. Il sera proposé sur Flam (l’autre produit de la marque) mais aussi sur smartphone. Cela peut paraître contre intuitif avec l’identité de Lunii et tout ce que je viens de raconter. Mais en tant que designers on ne doit pas être obtus ou dogmatiques. La question que l’on doit se poser est : de quelle manière servir au mieux la vision de l’entreprise ? Je souhaitais poursuivre l’accompagnement des enfants en prolongeant notre activité de création de contenus pour les adolescents. Il fallait donc aller les chercher où ils sont. Cela nous permet d’adresser la question du bon usage du smartphone et du numérique de manière générale.
Le but de Numenia est de jouer entre l’individuel et le collectif avec une question fondamentale : comment toucher le soi intérieur et le mettre au service de la collectivité ? Nous voulons permettre aux ados de se questionner sur la manière dont ils fonctionnent et montrer des exemples de mondes durables, de résilience ou encore d’expériences collectives.
Cela reste un pari car c’est une tranche d’âge qui devient prescripteurs. Le projet est challengeant et j’ai hâte de voir comment cela va prendre. Pour le moment, les tests sont probants mais je suis partisane de l’expérience réelle, elle ne triche pas.
Cela reste un pari car c’est une tranche d’âge qui devient prescripteurs. Le projet est challengeant et j’ai hâte de voir comment cela va prendre. Pour le moment, les tests sont probants mais je suis partisane de l’expérience réelle, elle ne triche pas.
Liens utiles :
- Le profil LinkedIn de Maëlle
- Le site de Lunii
- Le témoignage de Lunii dans le cadre du label LUCIE
- Pour découvrir Numénia
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Photos et illustrations partagées par Maëlle.
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