Entretien avec Justine Laurent, co-fondatrice de Circulab qui nous explique son parcours et son point de vue sur les services !
Bonjour Justine, peux-tu nous présenter ton parcours en quelques mots ?
Bonjour ! J’ai fait une école de commerce assez classique, avec un parcours innovation et entrepreneuriat. Dès ma première année j’ai été assez conquise par l’intervention d’un alumni qui avait un projet dans le cadre de l’ONG Sife (qui s’appelle désormais Enactus) pour valoriser des bâches publicitaires en Tunisie et les transformer en éléments de maroquinerie. J’ai pris conscience que je voulais aller dans ce sens, qu’il était ridicule d’aller chercher de nouvelles ressources pour produire des choses alors que de nombreuses ressources étaient en réalité déjà disponibles. Après cela, j’ai passé 5 années à toucher un peu à tout : marketing, entrepreneuriat social, etc. Et j’ai dédié mes 2 dernières années de Master à l’Économie Circulaire même si cela ne s’appelait pas comme ça à l’époque ! J’ai fait mon stage de fin d’étude dans ce domaine et en particulier dans la valorisation des déchets sur des aspects design et environnement. J’avais 2 options pour faire ce stage : soit une ONG soit l’agence Wiithaa qui existait depuis 3 ans. Après mon stage, j’ai poursuivi mon travail pour l’agence pour terminer par m’associer avec Brieuc Saffré en 2017. Depuis, nous avons repensé la stratégie et Wiithaa est devenu Circulab.
Comment définirais-tu le Design Circulaire ?
C’est un peu un abus de langage car tout design devrait être « circulaire ». Bien évidemment, vous allez vite comprendre que cela ne veut pas dire que l’on dessine des ronds ! Pour comprendre ce que c’est, il faut avoir un chiffre de la Communauté Européenne en tête : 80% des impacts d’un produit ou d’un service se décide à l’étape de conception. C’est à cette étape clé que l’on va penser toutes les briques du produit ou service, que l’on va faire des choix qui vont induire toutes les conséquences par la suite.
Le Design Circulaire c’est comment intégrer dans la phase de conception un mode de réflexion et des indicateurs qui nous permettent de faire en sorte qu’il n’y ait pas de conséquences négatives mais à l’inverse un maximum d’impacts positifs sur le moyen et sur le long terme. Certains diront que c’est justement le principe du (bon) design. Je suis d’accord, le problème c’est que dans la pratique on s’en est éloigné. On allait vers quelque chose de fonctionnel puis d’esthétique puis centré sur les utilisateurs… En Design Circulaire on a une échelle d’impacts qui ne s’arrête pas au niveau de l’entreprise, du consommateur ou de l’utilisateur. Elle va toucher les écosystèmes donc l’ensemble des personnes, des espèces naturelles, de la biodiversité avec lesquelles nous sommes en contact. Et cela fait penser évidemment à l’Économie Circulaire. Quand on conçoit quoique ce soit, on fait en sorte de ne pas dépendre de l’extraction de ressources, de viser une forme de sobriété, d’optimiser les usages et de les multiplier, de sortir de la notion de déchet, etc.
Le Design Circulaire c’est comment intégrer dans la phase de conception un mode de réflexion et des indicateurs qui nous permettent de faire en sorte qu’il n’y ait pas de conséquences négatives mais à l’inverse un maximum d’impacts positifs sur le moyen et sur le long terme. Certains diront que c’est justement le principe du (bon) design. Je suis d’accord, le problème c’est que dans la pratique on s’en est éloigné. On allait vers quelque chose de fonctionnel puis d’esthétique puis centré sur les utilisateurs… En Design Circulaire on a une échelle d’impacts qui ne s’arrête pas au niveau de l’entreprise, du consommateur ou de l’utilisateur. Elle va toucher les écosystèmes donc l’ensemble des personnes, des espèces naturelles, de la biodiversité avec lesquelles nous sommes en contact. Et cela fait penser évidemment à l’Économie Circulaire. Quand on conçoit quoique ce soit, on fait en sorte de ne pas dépendre de l’extraction de ressources, de viser une forme de sobriété, d’optimiser les usages et de les multiplier, de sortir de la notion de déchet, etc.
Comment es-tu « tombée » dedans ?
J’ai grandi en banlieue parisienne au sein d’une famille sensible au gâchis, aux économies, etc. Donc la partie déchet et économie circulaire était une évidence pour moi. Et puis je suis d’un tempérament entrepreneurial donc l’approche design s’est avérée plus naturelle que des approches chiffrées. Derrière cette approche design de l’Économie Circulaire il y a la logique d’apprendre par le faire, de faire confiance aux science humaines et sociales plus qu’aux sciences dures. Cela me correspondait en tous points.
Peux-tu nous en dire plus sur Circulab ?
On est une agence de Design Circulaire, cela veut dire que l’on met le design au service de la régénération des écosystèmes à travers notamment les principes de l’Économie Circulaire. Pour faire simple, notre mission est de régénérer les écosystèmes donc de créer de la valeur auprès de la planète, des communautés, des territoires et des utilisateurs. Pour cela, on utilise des approches itératives, d’observation, d’apprendre par le faire, de matérialisation des idées, des produits, des expériences... Nous avons donc 3 activités principales :
On a conçu des outils regroupés dans la Circulab Toolbox. Ce sont des outils de cartographie, d’exploration, d’observation…qui sont en partie en open source et en partie sous licence. Ils ont pour objectifs de faciliter le passage à l’action, d’être des déclencheurs, des catalyseurs de toutes ces démarches.
Nous avons aussi construit une communauté autour de ces outils. Une communauté de praticiens, consultants, designers, coachs, formateurs… Tous ces professionnels sont formés et certifiés Circulab. Ils disposent de tous nos outils pour les appliquer sur les territoires. De fait Circulab a une approche 360° en termes de secteurs et au plus proche des territoires même si à la base ce n’est pas une agence spécialisée ni ancrée territorialement parlant. Cette communauté est présente dans 25 pays à travers des partenaires / clients / prestataires.
- la formation aux principes et aux outils du Design Circulaire,
- l’accompagnement pour identifier des leviers d’actions mais aussi des solutions et aider à rédiger des plans d’actions pour y arriver,
- la concrétisation de produits, de services, d’expériences qui ont du sens.
Nous avons aussi construit une communauté autour de ces outils. Une communauté de praticiens, consultants, designers, coachs, formateurs… Tous ces professionnels sont formés et certifiés Circulab. Ils disposent de tous nos outils pour les appliquer sur les territoires. De fait Circulab a une approche 360° en termes de secteurs et au plus proche des territoires même si à la base ce n’est pas une agence spécialisée ni ancrée territorialement parlant. Cette communauté est présente dans 25 pays à travers des partenaires / clients / prestataires.
Que signifie « service » pour toi ?
Bonne question ! Je dirai qu’un service est destiné à quelqu’un, c’est quelque chose « à destination de… ». C’est une relation où tu souhaites aider une personne à satisfaire un besoin le mieux ou le plus facilement possible. Cet individu peut changer, le besoin peut changer aussi. Le Design de Services permet de concevoir la meilleure manière de répondre au besoin d’un client ou utilisateur. Ce qui me semble important c’est la notion de « relation » que l’on n’a pas dans le produit (même si on devrait l’avoir).Le Design Circulaire adresse-t-il correctement les services selon toi ?
Oui pour moi le Design Circulaire adresse aussi les services mais c’est plus complexe car les flux sont moins matérialisés. Aujourd’hui on trouve rarement un produit sans services autour et l’inverse est vrai on trouve rarement un service seul. Je pense que c’est une gymnastique différente mais que l’on peut utiliser les mêmes outils. Il faudrait peut-être revoir la manière de définir les étapes du cycle de vie pour un service. S’il y a un outil qui est peut-être moins adapté, je pense que c’est le Value Chain Canvas. Mais avec les étapes de conception, de préparation, etc. du service, tu peux faire le même exercice. Le périmètre défini est un peu différent et peut inclure les mini-cycles de vie des produits au sein du service. En revanche, on a utilisé le Circular Canvas pour une école et pour nous-même et là l’outil est aussi bien adapté pour un service que pour un produit. La matérialisation des flux peut être plus difficile en service, mais l’application du Design Circulaire se traduit par des services, des produits, des relations.Connais-tu le Design de Services et quelle définition en donnerais-tu ?
Oui, au début de l’aventure Circulab les designers qui nous contactaient étaient plutôt des designers de services. Je pense qu’ils étaient plus réceptifs à la démarche du Design Circulaire, à la systémique. Donc on a eu des designers de services avec la communauté Circulab, soit des intervenants sur des projets soit des étudiants en stage. Mais à titre personnel je ne me suis pas formée et je n’ai pas vraiment creusé. Ce qui me semble important en Design de Services c’est la relation que tu tisses avec le client ou l’utilisateur. Grâce à elle tu arrives peut-être plus à embarquer ton utilisateur et tu lui permets peut-être plus facilement d’avoir un impact positif. Alors que le produit c’est un élément, il n’y a pas ou beaucoup moins cette notion de relation.
Vois-tu des synergies entre le Design de Services et le Design Circulaire ?
Selon moi le problème c’est que l’on oublie de s’interroger sur le pourquoi de l’UX ou le Service Design, sur le besoin réel, le à quoi ça sert. L’UX Design c’est créer ou améliorer une expérience mais cela semble un peu décoléré du comment cette expérience va s’inscrire dans un ensemble. Et l’environnement par définition c’est ce qui nous entoure…alors que l’UX par définition c’est l’utilisateur. Je ne dis pas que c’est impossible mais si on s’en tient à la définition…non, ces approches ne prennent pas en compte l’environnement ! Aujourd’hui on ne questionne pas le pourquoi ou le à quoi ça sert vis-à-vis de l’environnement. Nous créons des expériences juste au regard du produit, du chiffre d’affaires ou de la technologie mais pas de l’environnement. On travaille de plus en plus sur les questions autour de la sobriété numérique ou de l’éco-conception web. En revanche, je pense que c’est assez limitant au regard d’une expérience plus globale et que l’on n’a pas encore bien compris en quoi l’UX ou le Service Design peuvent permettre de répondre aux enjeux environnementaux. Enfin je pense que si un produit est super d’un point de vue environnemental, ça ne doit pas le dédouaner de faire partie d’un parcours et d’expériences eux-mêmes répondant aux enjeux environnementaux… Il faut une certaine cohérence ! L’UX et le Design de Services peuvent permettre cela et peut amener l’utilisateur dans une démarche de conscientisation, de connexion, de lien social… C’est donc un nouveau levier à ajouter aux autres et à mobiliser !
Pour moi le Design Circulaire est une approche plus englobante qu’il est possible de traduire sous forme de service, de produit, d’application ou autres. Mais je ne vois pas ça comme des étapes : d’abord l’une et après l’autre... Avec le Design Circulaire tu viens systématiquement remettre en contexte ce que tu conçois, te questionner sur ce que tu mobilises… Donc c’est plus une question de toujours avoir en tête la fin de vie, les ressources mobilisées, les externalités négatives et positives, etc. C’est une approche peut-être moins appliquée que le Design de Service. Le Design Circulaire oriente l’intention mais pas le résultat. La matérialisation d’un projet de Design Circulaire peut être un produit, un site, un service…et c’est là que le Design de Produits comme le Design de Services peuvent aussi nous apporter des méthodos et des outils intéressants. Je pense qu’il ne faut pas être mono-pensée, ce n’est pas l’une ou l’autre des approches. Le Design Circulaire ne vient pas remplacer le Design de Produits ou le Design de Services. Il pourrait plutôt remplacer le Design Thinking en termes de philosophie ou d’état d’esprit englobant.
Un dernier mot ?
Le Design Circulaire c’est du design dans ce qu’il y a des plus essentiel. On définit une intention qui a du sens et on met en place la meilleure réponse possible.Liens utiles
- Site de Circulab : https://circulab.com/fr/
- Article « Du Design Thinking au Design Circulaire » : https://circulab.com/fr/design-circulaire-definition/
- Livre "Activer l'Economie Circulaire" aux Editions Eyrolles. https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/activer-l-economie-circulaire-9782212563887/
- Circular Design Guide (IDEO et la Fondation Ellen MacArthur) : https://www.circulardesignguide.com/
Crédit photos : Circulab